Le Souvenir Français
Délégation de la Haute-Savoie (74)
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Annemasse — Sans jamais prendre les armes, il sauve de nombreuses vies : « C’est un miracle qu’il n’ait pas été pris »

« Il ne parlait pas des faits ou très peu. Il parlait du sens de l’action. Il parlait de la peur permanente, de la guerre, mais il n’a pas dit : “Je suis un héros”. Il parlait aussi du choix de rentrer en Résistance et de la solitude de la décision ». Photo Le DL / Greg Yetchmeniza

Onzième volet de notre série de témoignages de petits-enfants de résistants. Claude et Jacques Deffaugt évoquent leur grand-père Jean Deffaugt, devenu maire d’Annemasse sans le vouloir et entré dans l’Histoire en prenant des risques fous.

Jacques et Claude Deffaugt se souviennent encore de ce grand-père Jean Deffaugt qui a marqué leur adolescence. Jean Deffaugt, mort en 1970 à l’âge de 74 ans, était un homme dont la vie a été ponctuée de malheurs et de belles réussites. Un homme droit, humble, modeste, assurant « avoir fait son devoir de Français et de chrétien ». Un homme qui, grâce à son sens de la négociation, à sa générosité ou à ses prises de risques sans jamais saisir une arme, a été au cœur de l’Histoire, sauvant des enfants juifs, ce qui fera de lui un Juste parmi les nations. « Ce qui est intéressant, c’est de savoir ce qui a conduit à ses actes. On ne se réveille pas un matin en décidant de sauver des gens ».

Né à Verchaix, en Haute-Savoie, en 1896, dans une famille très modeste, puis orphelin à 14 ans de père et de mère, Jean Deffaugt rejoint Genève où il fait des études dans la comptabilité et le commerce. La Première Guerre mondiale éclate. Engagé volontaire à 18 ans, il est fait prisonnier en septembre 1914, à la bataille de Dompierre. Il le restera près de quatre ans, passant de camp en camp, trente-deux au total. En 1918, il rejoint une entreprise de filature à Metz, où il crée sa propre société.

1935. C’est le référendum de la Sarre. Il décide de rester Français et retourne en Haute-Savoie, à Annemasse. Il y occupe une maison de la rue du Commerce, où il y a également son magasin de tissus. En 1936, sa troisième fille meurt. Françoise n’avait que 6 ans. Un drame qui expliquera pourquoi il s’est beaucoup préoccupé du sort des enfants durant la Seconde Guerre mondiale.

« En mairie, il laissait toujours une fenêtre ouverte pour s’échapper si on venait l’arrêter »

En 1940, c’est la débâcle. Un jour, devant la mairie d’Annemasse, Jean Deffaugt voit une trentaine de personnes perdues, des réfugiés lorrains. Il va les aider et décide de monter un centre d’accueil pour les réfugiés qui arrivent de l’Est par la Suisse. Au total, ce sont 85 000 personnes qui passeront dans ce centre. Dans le même temps, il n’y a plus de municipalité et c’est Vichy, directement, qui nomme un groupe d’individus pour gérer la ville. Comme il s’occupe du social, il se retrouve premier adjoint… au social.

« La Résistance voyait d’un mauvais œil l’organisation mise en place par Vichy. Notre grand-père était mis dans le même panier, il en souffrait. Il a même reçu une bombe dans le magasin », raconte Claude Deffaugt. « Un matin, il arrive en mairie, mais le maire est parti après avoir reçu plusieurs menaces de mort. Avec son sens de l’engagement et de la parole donnée, il accepte de prendre la suite. Il est devenu maire sans le vouloir. »

Fin 1943, Jean Deffaugt prend contact avec l’occupant allemand, lui qui connaît leur langue et leur mentalité. Quand la prison du Pax est mise en place, il obtient l’autorisation d’y rentrer quotidiennement, durant un an. De plus, en tant que maire, il est responsable de l’état civil, un poste idéal pour faire de faux papiers ou des laissez-passer.

Jusque-là, Jean Deffaugt n’est donc pas dans la Résistance, il est sous observation, mais on le contacte. Il y a Georges Loinger pour la mise en place d’une filière de passage d’enfants juifs en Suisse ; ou le colonel Groussard Georges, du réseau Gilbert, en lien avec l’Intelligence Service britannique qui souhaite qu’il intègre son réseau sous le nom de Charasse. Jean Deffaugt est maire, à ce titre respecté des Allemands, mais il est aussi en contact avec l’Intelligence Service, collabore pour le passage des enfants juifs et reste en lien avec les cheminots résistants… « Des fois, il avait des papiers de la plus haute importance dans la poche, tout en discutant avec le commandant allemand, et en étant observé par la population qui le traitait de collabo », rappelle Jacques Deffaugt. « Il jouait sur tous les tableaux, c’est un miracle qu’il n’ait pas été pris. En mairie, il laissait toujours une fenêtre ouverte pour s’échapper si on venait l’arrêter. »

Des années plus tard, a-t-il raconté des choses à ses petits-enfants ? « Non. Dix ans après la guerre, c’était encore l’omerta. Il a commencé à évoquer des souvenirs avec ses compagnons de la Libération. Il ne parlait pas des faits ou très peu. Il parlait du sens de l’action. Il parlait de la peur permanente, de la guerre, mais il n’a pas dit : “Je suis un héros”. Il parlait aussi du choix de rentrer en Résistance et de la solitude de la décision », se remémore Claude Deffaugt. Son épouse, Suzanne, savait-elle ? « Elle était au courant de tout. Elle avait même cousu une poche dans sa braguette pour y glisser des mots ».

Et a-t-il affiché des regrets ? « Oui, Marianne Cohn, qui n’a pas voulu être sauvée. Il y a aussi Mila Racine, qui a été déportée mais qui lui a demandé du rouge à lèvres et une robe rouge car elle voulait être belle pour partir. Ça l’a marqué », commente Jacques Deffaugt.

Jean Deffaugt restera maire jusqu’en 1947. Il n’a pas voulu faire une carrière politique, même si « on est venu le chercher ». Car sa femme lui a dit : « Jean, c’est la politique ou c’est moi ».

Sabine Pellisson, 17 août 2024
Lieu de mémoire en lien :
 Stèle Jean Deffaugt

Stèle Jean Deffaugt

Détail

Maire d'Annemasse durant l'Occupation nazie. Obtient le 31 mai 1944 la libération de 17 enfants juifs emprisonnés à l’hôtel Pax transformé en prison par la Gestapo, arrêtés alors qu’ils tentaient de passer la frontière avec des camarades plus âgés et une jeune convoyeuse clandestine, membre des réseaux juifs, Marianne Cohn.

Lieu : Annemasse