Le Souvenir Français
Délégation de la Haute-Savoie (74)
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Chamonix — Souvenirs de bataille dans la montagne

Depuis le refuge de Torino, installé à 3371 mètres d’altitude, les Résistants disposent d’un point d’observation idéal pour guetter les mouvements de troupes en vallée d’Aoste.

René Bozon n’a pas oublié le combat du refuge de Torino. Jeune résistant, il avait alors 18 ans.

«Lorsque je suis arrivé au refuge de Torino avec mon nouveau poste de radio, j’ai trouvé le corps sans vie d’Henri Kortz, enveloppé dans une couverture avec une miche de pain sur la poitrine en guise de couronne… »

À 88 ans, René Bozon se souvient parfaitement de cette vision terrible et de la peur qui a saisi le jeune résistant de 18 ans qu’il était alors.

Dans son chalet situé sous le glacier des Bossons, l’homme désigne les nuages bas et gris qui bouchent la vallée. « Ce 2 octobre 1944, le temps était comme aujourd’hui. On ne voyait pas à 20 mètres. J’étais tout jeune et je venais de terminer une formation d’alphabet morse pour devenir radio dans un groupe de résistants. À cette époque, je travaillais sur le chantier du téléphérique de l’aiguille du Midi. C’est l’ingénieur Alphonse Mader qui m’a incité à entrer dans la Résistance. Plus tard, j’ai appris qu’il était lieutenant dans l’armée ».

Assis à la table de sa salle à manger, René Bozon regarde, de ses yeux gris, un livre sur les combats aux sommets, auquel il a contribué. Il se souvient parfaitement de ceux qui étaient là-haut avec lui lors de ce tour de garde. Les sergents Jules Payot et Henri Kortz, Francis Balmat, Lucien Thivièrge, Miko Quaglia, Émile Allais, Arthur Franchino, Alfred Payot, René Balmat, Arsène Lucchini, Gérard Ancey, François Coquoz, René Berthon. De tous ceux-là, il est le seul encore en vie pour témoigner et témoigner encore de cette dramatique matinée. Pourtant, il n’en a vu que l’épilogue tragique mais après la guerre, ses compagnons ont raconté.

« Il faisait un temps pourri. On jouait aux cartes, on faisait la cuisine. Certains démontaient et remontaient leurs armes. Deux hommes guettaient le versant italien. Ce jour-là, deux résistants italiens nous avaient rejoints au refuge. Le professeur Luciano Maggiora et un jeune, nommé Zanella ». Comme la radio ne portait pas assez loin pour joindre le groupe stationné au col du Midi, le lendemain, René Bozon et Arthur Franchino devaient partir au col pour en récupérer une plus puissante. Le deux à 8 heures, les deux hommes partaient, rejoint par Émile Allais qui disait avoir à faire un travail de mise au point de skis, sur Grenoble.

« Les gebigsjagers allemands (chasseurs alpins/ndlr) avaient profité du mauvais temps pour monter vers le refuge. Six soldats, un officier et le célèbre vainqueur de la face nord de l’Eiger, Anderl Heckmair. Tous de bons alpinistes ».

À 10 heures, Francis Balmat, de garde, distingue une silhouette. Il n’a que le temps de crier “Y’a les Boches !” qu’une fenêtre vole en éclat tandis que la porte d’entrée s’ouvre brusquement. Les grenades à manche allemandes volent dans la pièce de vie du refuge et les pistolets-mitrailleurs crépitent. François Coquoz, en chaussettes, tente une sortie mais se fait faucher par une rafale. Berthon meurt dans la cuisine. Dans la pénombre, Kortz voit une grenade rebondir sur le sol. Il se jette dessus et la renvoie dehors. Aussi incroyable que ça paraisse, un Allemand la récupère et la renvoie à Kortz qui se fait déchiqueter par le shrapnel.

À l’étage, Miko Quaglia tire et touche l’officier allemand en pleine tête, puis descend aussi l’officier en second. Les Allemands fondent sur les six Français encore valides au rez-de-chaussée et leur ordonnent de lâcher leurs armes et de se coucher au sol. Puis, en français, un gebigsjager ordonne à Quaglia de se rendre sans quoi ses amis seront exécutés. C’est la fin du combat.

Herkmair, rendu fou par le combat, tient en joue Lucien Thivièrge qu’il croit responsable de la mort des deux sous-officiers allemands. « Il n’y avait que de la haine dans ses yeux, avait raconté Lucien Thivièrge peu avant son décès. Il ne voulait qu’une chose, me tuer. On était tous alpinistes et beaucoup se connaissaient ; les autres sont allés le calmer. L’un d’eux lui a dit : “Entre alpinistes, ça ne se fait pas. Laisse-le”. Ce type m’a sauvé la vie… »

Les corps des Français ont été abandonnés sur place et les prisonniers ont dû porter les corps des Allemands jusqu’à Courmayeur, avant d’être transférés dans les camps de prisonniers allemands.

René Bozon poursuit, les yeux dans le vague. « Quand j’ai compris que les Allemands n’étaient plus là, je suis retourné jusqu’au col du Flambeau pour alerter par radio les autres, au col du Midi. Ils sont venus ensuite récupérer les corps et moi, je suis retourné à Chamonix. »

Le refuge fut abandonné par les Allemands comme les Français jusqu’en février 1945, lorsque les Allemands l’ont repris, lançant ainsi ce qui fut le combat du col du Midi. Mais ça, c’est une autre histoire…

Philippe CORTAY, 14 juil. 2014
Lieu de mémoire en lien :
 Stèle EMHM

Stèle EMHM

Détail

Chmonix — Stèle EMHM

Lieu : Chamonix

Depuis le refuge de Torino, installé à 3371 mètres d’altitude, les Résistants disposent d’un point d’observation idéal pour guetter les mouvements de troupes en vallée d’Aoste.Guerre à Chamonix Avril 1945 : Combat au col du midi - Photo Collection Musée des troupes de montagne