Le Souvenir Français
Délégation de la Haute-Savoie (74)
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Yvonne de Komornicka, mère de famille et « chef de guerre »

Yvonne de Komornicka a dirigé, sous le nom de Kléber, le groupe de Résistance Combat dans le Vaucluse, de l'automne 1942 à son arrestation fin octobre 1943 — Photo Archives départementales de Vaucluse

Ces femmes qui ont marqué l’histoire. Veuve d’un comte polonais, mère de trois enfants, Yvonne de Komornicka a dirigé le groupe Combat dans le Vaucluse, sous le nom de capitaine Kléber. Un exemple de devoir suivi par ses filles.

J’ai eu une vie mouvementée mais une vie de devoir. » En 1979, dans un enregistrement recueilli par les Archives départementales de Vaucluse, Yvonne de Komornicka raconte ce qui a fondé son engagement dans la Résistance. À elle seule, sa voix témoigne d’une personnalité et d’une force de caractère exceptionnelles.

Sous le nom de capitaine Kléber, elle a dirigé le groupe Combat dans le Vaucluse, de l’automne 1942 à octobre 1943, date de son arrestation à la suite d’une dénonciation. Une trahison qui l’a marquée à jamais, confie Didier Hudault, son petit-fils âgé de 73 ans, fier de cette grand-mère, « chef de guerre », décédée à 96 ans, le 31 octobre 1994 à Avignon.

C’est en 1941 qu’Yvonne de Komornicka, 43 ans, veuve d’un comte polonais à l’âge de 30 ans, arrive dans la cité des Papes avec ses trois filles, trois jeunes adolescentes, Christiane, l’aînée, Wanda et Hélène, la cadette. Dénoncée, déjà, elle a dû quitter Nancy où elle avait créé un réseau d’évasion et de ravitaillement de prisonniers. « On en avait assez de voir que les Allemands envahissaient la France. Alors, j’ai pris tous ces risques », témoigne-t-elle en 1979.

À Avignon, la mère et ses trois filles découvrent que « dans la région, on était franchement pétainistes », se souvient Christiane en 1978, lors de son interview par les Archives vauclusiennes. En octobre 1942, Pétain fait d’ailleurs une visite triomphale. Les filles intègrent le lycée et Yvonne de Komornicka décroche un emploi aux services sociaux de la mairie. Elle rejoint alors l’abbé Krebs, à la tête du mouvement Combat dans le Vaucluse. “Victor”, son nom de code, vient dans la maison d’Yvonne de Komornicka, au 4, avenue des Chalets, pour écouter Londres.

Le 29 septembre 1942, sommé par l’archevêque d’Avignon, pétainiste, de quitter la ville, l’abbé se tourne vers Yvonne de Komornicka. « J’ai pensé à vous pour me succéder », lui dit-il. « Il y a des hommes dans le Vaucluse, non ? », lui répond-elle. « Ils promettent mais ne tiennent pas. Kléber, j’ai confiance en vous. »

Elle rencontre Jean Moulin à Avignon

Une lourde responsabilité pour cette mère de trois jeunes filles. Elle accepte cependant car aucun des officiers de l’armée auxquels elle s’adresse n’a voulu s’engager. « À la tête du groupe Combat, alors que le Vaucluse a basculé en zone occupée fin 1942 et que les Allemands s’installent à Avignon, Kléber centralise aussi la distribution de journaux et de tracts avec ses filles, qui parcourent la région à la force des mollets.

Christiane, secrétaire de liaison de l’Armée secrète, transmet le courrier entre le Vaucluse et Marseille. Wanda aide sa mère au service social puis est chargée des liaisons dans la région et pour le Maquis-Ventoux, où elle rencontrera son mari, Guy Hudault. Hélène s’occupe de la diffusion des journaux et des tracts.

Le travail social d’Yvonne de Komornicka facilite ses déplacements. Grâce à son excellente mémoire, elle ne note aucun nom. En 1943, sous les ordres de Jean Moulin, qu’elle rencontre à Avignon, elle fédère les organisations de résistance vauclusienne, les MUR (Mouvements unis de Résistance) au prix de nombreuses réunions secrètes. Face à ces hommes, elle s’impose. À l’extérieur, beaucoup imaginent que Kléber est un homme.

À partir de juin 1943, les arrestations frappent la Résistance. Le 23 octobre, Yvonne de Komornicka, objet de nombreuses lettres de dénonciation, est arrêtée à la mairie par la Gestapo qui va ensuite fouiller sa maison. Mais sans trouver les journaux “Combat”, cachés au sous-sol dans le tas de charbon et de pommes de terre.

Avant d’être transférée en novembre aux Baumettes à Marseille, Yvonne de Komornicka dit à ses filles : « Continuez comme si j’étais là. » Ce qu’elles feront, seules, pendant deux ans. « Ce qui nous a tenues, ma mère et nous, c’est qu’on n’a jamais douté de l’issue », confie Christiane dans son témoignage aux Archives.

Condamnée à mort, leur mère est déportée à Ravensbrück où elle passera treize mois. Au bloc 32, elle est une nuit et brouillard (“Nacht und Nebel”, expression désignant les déportés destinés à périr sans laisser de traces), empoisonnée, objet d’expériences scientifiques.

« C’est un privilège d’avoir pu traverser des épreuves aussi énormes où tant sont tombés », estime celle qui est revenue en ne pesant plus que 28 kilos. Ses filles, parties la chercher à la fin de la guerre, la retrouveront le 14 juillet 1945 à l’hôtel Lutetia à Paris. À son retour de l’enfer, épuisée, elle doit se battre pour retrouver sa maison et devra même affronter une cabale.

Son courage exceptionnel a été salué par de nombreuses décorations mais « elle avait beaucoup d’humilité et de discrétion, ne parlait pas de cette période, ne voulait pas se mettre en avant », témoigne encore Didier Hudault. « Elle a eu du courage dans toute sa vie. C’est une chance d’avoir des parents et grands-parents qui ont su se comporter honorablement », admire-t-il, tout comme sa fille Constance, arrière-petite-fille d’Yvonne de Komornicka. « Christiane, ma marraine, a tenu à ce que je récupère toutes les archives », confie-t-elle, elle aussi admirative de « cette force, cette volonté, pour défendre son pays. Comment réagirait-on dans le même cas ? », s’interroge-t-elle aujourd’hui.

Mireille Martin, 5 août 2023