Le Souvenir Français
Délégation de la Haute-Savoie (74)
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Les soldats du 27e  ne veulent pas être les oubliés de l’histoire

90 militaires français ont perdu la vie en Afghanistan et 700 ont été blessés

Un documentaire inédit intitulé “Frères d’armes, nos années afghanes” sera diffusé le jeudi 10 novembre à 22 h 50 sur France 3. Signé du réalisateur Géraud Burin des Roziers, il rapporte les souvenirs de militaires du 27e BCA, partis en Afghanistan il y a 12 ans. Le journaliste est considéré par les soldats comme un frère d’armes. Interview.

Comment vous est venue l’idée de faire ce film ?

« Des commandos montagnes étaient venus me voir il y a plus de trois ans pour me dire qu’ils ne voulaient pas devenir les oubliés de l’histoire. Souvent, un conflit en chasse un autre et ils voulaient savoir ce qui restait de la guerre en Afghanistan, notamment auprès de leurs camarades. Que devenait ce sacrifice auquel ils avaient consenti, mais aussi celui de leur famille ? Je voulais faire un film hommage, renouer avec ces camarades auprès de qui j’avais travaillé en tant que journaliste. Nous nous sommes donc retrouvés 12 ans après. J’ai pu aussi faire entendre leur voix, notamment de ceux qui sont atteints de syndrome post-traumatique. »

Quand étiez-vous en Afghanistan avec eux ?

« En 2002-2009 dans la vallée de la Kapisa. C’était le colonel Nicolas Le Nen qui commandait à l’époque. Et puis j’y suis retourné plus tard quand deux journalistes avaient été enlevés. L’État-major français nous avait alors interdit d’aller dans cette vallée, donc je me suis rendu à Surobi où j’ai fait un autre film sur les pilotes d’hélicoptère et les secours aériens. Puis j’ai continué à suivre l’aventure des soldats à travers le prisme des familles, restées en base arrière. »

Au 27e  BCA, vous êtes considéré comme un journaliste mais surtout comme un frère d’armes…

« Mes premières années d’adulte, je les ai passées au 27 en tant que jeune officier, après l’école de Coëtquidan. Je suis ensuite devenu président des lieutenants. Et puis j’ai été victime d’un accident de montagne. Ce sont mes camarades qui m’ont retrouvé, 12 heures après. Je sais ce que je leur dois. Le colonel Le Nen, je l’avais connu en tant que lieutenant bien des années avant. En Afghanistan, j’ai pris les mêmes risques que la troupe, ce qui m’a permis de gagner sa confiance. Je suis un enfant du bataillon. »

Quand on écoute le témoignage de ces soldats qui ont failli mourir en Afghanistan, on peut se poser une question : en tant que père de famille, avaient-ils le droit de prendre autant de risques ? N’y a-t-il pas, finalement, une part d’égoïsme ?

« Je me suis posé cette même question. J’ai un fils qui a très mal vécu mon départ en Afghanistan. Quand on part sur ce type d’opération, on sait qu’on va risquer sa peau. On n’est plus dans une mission de maintien de la paix. Le fait de choisir ce métier et d’avoir une femme et des enfants, ça peut paraître antinomique mais le service à la Nation reste plus fort que tout. D’autant que ce sont nos familles qui la composent cette Nation. Les soldats ont le sentiment d’accomplir leur devoir, même si la charge est très lourde pour les proches. Pendant 30 ans, ma famille, mon bien le plus précieux, a subi cette déchirure. Cet héritage nous vient de Tom Morel. Son devoir suprême était de s’engager pour la résistance de son pays. Sa femme l’avait choisi en sachant tout ça… »

Certes, mais les enfants, eux, ne choisissent pas…

« C’est vrai mais, en général, ils sont fiers de ce que leur père a accompli même si ça laisse des blessures… et certains suivent l’exemple de leur père. J’ai filmé un enfant qui a perdu son père en Afghanistan, il a décidé d’entrer dans l’armée aussi. »

Le stress post-traumatique est-il mieux pris en compte par les services de santé ?

« Il y a encore 15 ans, il était impossible d’en parler. L’armée refusait qu’on filme sur le sujet. L’Afghanistan a révélé ce syndrome et le 27e BCA a été particulièrement concerné. En 2009, les hommes étaient revenus des combats et devaient rapidement repartir. Il fallait donc soigner les blessés psychiques. Mais les soldats pratiquaient aussi le silence auprès de leurs propres familles, ce qui entraînait isolement, alcoolisme, dépression… mais l’institution ne les a jamais laissés tomber. Aujourd’hui, certains reçoivent même la médaille des blessés. Ils continuent à se sentir utiles. »

Ça doit être d’autant plus difficile de s’en sortir quand on voit ce qui se passe aujourd’hui en Afghanistan. Les Talibans ont repris le pouvoir… on a l’impression d’un gros gâchis.

« Nos soldats ont tout donné pour ce pays. Ils ont accompagné l’armée afghane pour qu’elle puisse construire la paix. Tout ça a complètement échoué pour des problèmes liés à la corruption, aux ethnies, à des problèmes de gouvernance. C’est effectivement un grand gâchis mais les soldats français n’ont vraiment pas démérité. »

Quels sont vos projets ?

« Je travaille toujours avec Bernard de La Villardière. On voudrait faire un film, mais cette fois pour le grand écran, sur toute la matière que j’ai collecté en Afghanistan. Je travaille aussi pour une émission de “Zone interdite” sur le Made in France et je suis en train de faire un film sur la fin de vie en France. Enfin, je viens de finir un documentaire sur la rénovation du château de la Barben en Provence. Il sera bientôt diffusé sur M6. »

90 militaires français ont perdu la vie en Afghanistan et 700 ont été blessés.

Colette LANIER, 06 Nov.2022