Le Souvenir Français
Délégation de la Haute-Savoie (74)
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Haute-Savoie — Découvrez la petite ligne Maginot de Magland

A côté de l’Arpennaz : cette casemate est l’une des mieux conservées et visibles. Elle se trouve sur la commune de Sallanches, à proximité de la cascade de l’Arpennaz, sur un terrain privé. Photo Nathalie Sarfati

Avec sa multitude de hameaux, la ville de Magland est l’une des plus vastes du département et renferme des richesses autant patrimoniales, historiques que naturelles. Cet été, retrouvez chaque semaine un site remarquable qui mérite qu’on s’y arrête.

On les nomme casemates, pilules, blockhaus… Situés des deux côtés de l’Arve, il existe entre les hameaux d’Oëx, de la Grangeat, sous Saxel et de l’autre côté du torrent de l’Arpennaz, sur la commune de Sallanches, des vestiges de petits abris enterrés construits par le Génie militaire français. Ils devaient renfermer une mitrailleuse afin de défendre le territoire contre l’envahisseur ennemi. Cet ensemble, d’au moins 14 ouvrages forme ce qu’on appelle aujourd’hui “La petite ligne Maginot”.

La majorité de ces constructions était ronde et faisait à peu près 1,50 m de hauteur. Elles ont été conçues et positionnées pour viser en direction du lit de la rivière et arrêter les zodiacs qui l’auraient descendue, vers le vieux pont de la nationale ou la plaine vers Sallanches, pour empêcher les troupes terrestres de pénétrer dans le territoire. Il faut se souvenir qu’à l’époque, il n’y avait pas autant d’arbres et que les terrains étaient bien plus dégagés.

En 1939, alors que la guerre était déclarée contre les forces de l’Axe, les Savoyards se préparèrent à recevoir, non pas les Allemands, mais les Italiens par le col du Bonhomme. « L’Arve coupe la vallée en deux, donc les Italiens, s’ils étaient passés par-là, auraient été obligés de traverser sur le pont », explique Claude Gradel. Né en 1933, il est l’un, sinon le dernier, des témoins de ces curiosités pourtant peu connues.

Ainsi le haut commandement de l’armée française surveillait-il, dès 1939, les sommets alpins. « Je me souviens, j’avais 6 ans, mais nous venions jouer avec les soldats pendant qu’ils construisaient les casemates », confie Claude Gradel. C’est pourquoi le 107e  Bataillon de chasseurs alpins était posté à Magland.

Dans les faits, les troupes de Mussolini ont été arrêtées sur le massif du Mont-Blanc par l’armée française et les abris fortifiés de Magland n’ont jamais servi : « Ces casemates, une fois armées, devaient servir comme une deuxième défense en cas d’intrusion », précise-t-il.

Pour mémoire, l’Italie a déclaré la guerre à la France le 10 juin et l’armistice entre les deux pays fut signé le 24 juin 1940 suite à la bataille des Alpes qui couvrait toute la crête, de la Savoie jusqu’à Menton. Hitler réduisit les prétentions d’occupation du Duce à quelques îlots de terres qui furent annexés par l’Italie, mais seule une petite bande de terre au sud de la Haute-Savoie était concernée pour ce département. L’armistice du 22 juin 1940, signé entre la France et le Troisième Reich, sépara le territoire national en deux et la Haute-Savoie se retrouva au sud de la ligne de démarcation, en zone libre, sous le contrôle du gouvernement de Vichy. La zone d’occupation italienne ne la concernant que très peu, les habitants ont pu vivre à peu près normalement jusqu’en novembre 1942 quand, en représailles du débarquement allié en Afrique du Nord, les Italiens occupèrent la zone frontière jusqu’au Rhône alors que l’Allemagne supprimait la zone libre et prenait possession de la France entière.

Après que les Italiens furent arrêtés sur le massif du Mont-Blanc, l’armée française craignait de voir arriver les Allemands. C’est pourquoi trois places fortes ont été construites contre les troupes germaniques. Mais là encore, ces abris ne furent jamais armés. Claude Gradel se souvient que chez lui, deux chambres avaient été réquisitionnées par le Génie militaire, et que des militaires français logeaient dans sa petite école de la Grangeat, tandis que les enfants continuaient à la fréquenter. « Ils partaient à une dizaine miner le rocher. Nous les voyions avec leur lampe », raconte-t-il.

Enfin, contrairement aux idées reçues, la Résistance n’a jamais utilisé ces casemates dans ses actions contre l’occupant transalpin ou d’outre-Rhin.

De nombreuses constructions sur le territoire

Casemate à Maglan : Bernard et son oncle Claude sont la mémoire de cette période et de la construction de ces petites fortifications. Photo Le DL/N.S.

Repérer les constructions de la petite ligne Maginot de Magland peut relever du défi. Avec le temps, certaines ont été remblayées, envahies d’herbes et de ronces et sont désormais invisibles pour un œil non averti. Au hameau de la Grangeat, il reste un vestige à l’entrée d’une maison, rue de la Rippaz. Elle était destinée à tirer vers le pont. Un peu plus bas au croisement de la route de Luzier et du chemin de la gare d’Oëx, sous le grand pylône, avait été creusé un trou de 4x4 m, avec un filet de camouflage pour y loger un canon. Seul Claude Gradel s’en souvient car il ne reste rien : « Je suis le seul survivant qui sait tout ! », sourit-il. À Oëx, à la limite avec une ancienne usine à chaux, se trouvent deux casemates : une enfouie sous les arbres et une autre sous une ruche. Il y en a aussi plusieurs à Sallanches, à proximité de la cascade de l’Arpennaz. Les soldats devaient entrer par un escalier s’enfonçant dans la terre et généralement, de l’autre côté, se trouvait une meurtrière placée dans la direction du tir. Vers Oëx, dans un pré, au milieu des herbes et des orties, on peut également trouver trois « pilules », en terme militaire. Un peu plus loin, près de la ligne de chemin de fer, une autre construction visait l’alignement de l’Arve et, pour permettre de croiser les tirs, un tunnel creusé dans la roche se trouve sur la rive opposée sous le hameau de Saxel. Ainsi, sur cette rive, plusieurs fortifications ont été construites, notamment des tunnels. Certains étaient même agrémentés de rails pour y placer des wagonnets qui transportaient armes et munitions. Enfin, trois fortifications ont été construites contre les Allemands, dirigées vers la route nationale, Balme et Gravin, car on pensait qu’ils arriveraient par Cluses. Au-dessus du village d’Oëx, un tunnel a été foré directement dans le rocher à flanc de montagne. Un gros blockhaus a également été bâti le long de la nationale ainsi que sur la rive gauche de l’Arve. Cette dernière pouvait tirer dans deux directions à la fois.

Nathalie Sarfati, 18 août 2024