Le Souvenir Français
Délégation de la Haute-Savoie (74)
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Annemasse — Il y a 80 ans, 289 déportées de Ravensbrück transitaient par la gare

27069,1939-1945. Kreuzlingen. 300 ex-détenues du camp de concentration de Ravensbrück arrivent en Suisse, transportées par le CICR. Photo prise le 9 avril 1945. Photo Archives CICR (Dr). Référence V-P-HIST-01114,

Mercredi 11 avril 1945. 1 h 45. Au cœur de la nuit, 300 déportées, libérées de Ravensbrück en échange de prisonniers allemands, débarquent sur les quais de la gare d’Annemasse. Elles foulent, pour la première fois, le sol français.

Le voyage dure depuis plusieurs jours. Parties de Ravensbruck, elles ont traversé l’Allemagne et la Suisse avant d’arriver à Genève-Cornavin, le 10 avril à 20h32. Les déportées ne sont alors plus que 289, certaines ayant été hospitalisées à Saint-Gall et à Bern. Parmi elles, Noëlla Rouget, la résistante française qui a fait gracier son bourreau, mais pas Geneviève de Gaulle. La nièce du Général, transférée au camp de Libenau (dans le Bade-Wurtemberg, proche du lac de Constance), ne retrouvera la France que le 21 avril.

La suite, c’est un Annemassien qui le raconte dans une lettre poignante adressée à sa sœur. « Le convoi entra lentement en gare, pendant qu’une marche vibrante retentissait. Tous les regards étaient tendus vers les portières des wagons auxquelles apparaissaient des visages hâves, les yeux pleins de larmes de ces malheureuses revenues de l’enfer. »

Dans une correspondance de six pages, dont une copie a été transmise par Anise Postel-Vinay (1922-2020), résistante et déportée, à Éric Monnier, historien genevois et biographe de Noëlla Rouget, ce témoin, resté anonyme, retranscrit toute l’émotion de cette arrivée.

« La Marseillaise retentit. Tout le monde est au garde-à-vous. La foule est sur le quai pour les accueillir : le personnel du centre de rapatriement, des notabilités, le maire, les Femmes de France, les Femmes de Prisonniers, les Prisonnières de la Résistance et même l’harmonie municipale et les sapeurs-pompiers sont aussi là.»

L’Annemassien raconte ce cortège, et ces femmes à la fois hallucinées, pressées et tremblantes. Elles n’ont qu’un petit carton et quelques confiseries suisses pour seuls bagages. Certaines ne pèsent qu’une trentaine de kilos. Beaucoup d’entre elles n’ont pas eu la force de descendre du train et les brancards ne sont pas assez nombreux. On se presse pour les porter à bout de bras.

« Je ne savais comment la soutenir sans la blesser »

«Une des déportées avait beau s’appuyer sur moi de tout son poids, elle ne pesait guère à mon bras contre lequel je sentais ses cotes que nulle chair ne recouvrait plus. Presque chacun de ses doigts et ses avant-bras étaient couverts de petits pansements qui cachaient des plaies qu’un état d’anémie complète empêchait de cicatriser. Je ne savais comment la soutenir sans la blesser, ne sentant dans ma main que l’os de son bras et cette peau fragile que j’avais peur de voir déchirer sous la moindre pression », raconte l’Annemassien.

Alors que des cars doivent les transporter jusqu’au centre de rapatriements, installés entre Annemasse et Ambilly, la plupart tiennent à peine debout.

« Tout nous laisse supposer que ce convoi était composé des femmes les plus déficientes du camp. Quelle ne fut pas notre stupéfaction d’apprendre au contraire que les femmes ayant fait l’objet de cet échange de prisonniers étaient les plus valides […] Que devons-nous penser de celles qui sont à Ravensbrück ? », s’interroge-t-il.

Malgré l’effroi, les tortures, la misère, l’épuisement et l’effroi, l’Annemassien raconte aussi le « moral extraordinaire » de ces rescapées, à l’heure de retrouver la France. « Elles ne savaient pas comment témoigner leur gratitude à la musique et à la clique venues les accueillir par de vibrantes marches françaises. Elles disaient toutes que rien n’aurait plus donné de joie.»

Un centre de rapatriement, entre Annemasse et Ambilly

Les déportées resteront trois jours à Annemasse et à Ambilly. La ville frontière a été choisie par Henri Frenay, ministre des Prisonniers, déportés et réfugiés du gouvernement provisoire de la République française, pour y installer un centre de rapatriement des prisonniers et déportés. « Des baraques doivent être installées à cet effet (sur la commune voisine d’Ambilly), mais quand ce premier convoi arrive, cette infrastructure ne fonctionne que partiellement et les déportées sont logées dans des hôtels », précise Éric Monnier.

Un grand nombre des dépotées restèrent alitées qui ne purent être évacuées par la suite que sur des brancards. « Sur 280, seulement une cinquantaine put se rendre aux douches municipales chauffées à leur intention. Après avoir parcouru à pied les quelques centaines de mètres qui séparaient les centres des établissements des Bains-Douches, les plus vaillantes étaient épuisées, leur cœur battait la chamade », raconte-t-il encore.

Le convoi repartira d’Annemasse le 14 avril, direction Paris, gare de Lyon. Les déportées sont alors 177 à rejoindre la capitale, selon une dépêche de l’AFP, reprise dans Le Courrier de Genève. Sur le quai, elles sont accueillies par le général de Gaulle, ému aux larmes.

Un deuxième convoi passera aussi par Annemasse, en avril.

Recherche

L’auteur de la lettre reste, à ce jour, anonyme. Éric Monnier lance un appel aux potentiels lecteurs qui auraient connaissance de son identité.

Suzie Georges, 9 avril 2025
Lieu de mémoire en lien :
 Hommage aux prisonniers du camp de Rawa-Ruska en Ukraine

Hommage aux prisonniers du camp de Rawa-Ruska en Ukraine

Détail

Plaque commémorative en hommage aux prisonniers du camp de Rawa-Ruska (aujourd’hui située en Ukraine). Près de 24 000 prisonniers français y ont séjourné durant la Seconde Guerre mondiale. Les survivants du camp arrivèrent à la guerre d’Annemasse.

Lieu : Annemasse