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Penchée à ses côtés, Andéa, 35 ans, tient à raconter l’incroyable histoire de son grand-père, ancien combattant durant la Seconde Guerre mondiale, rescapé miraculeux du champ de bataille, qui fête aujourd’hui ses cent ans, en cette date symbolique de commémoration. « Ce n’est pas la même guerre, mais le devoir de mémoire est le même », lâche-t-elle, l’émotion à fleur de mots. « Je voulais lui rendre hommage de son vivant. Se porter volontaire comme il l’a fait à 19 ans, il fallait un sacré courage. Cette envie de venir au secours d’un pays qui au début n’était pas le sien, c’est très émouvant. »
Son « papy » comme elle dit affectueusement, lève le pouce en guise d’approbation. Assis sur un fauteuil médicalisé, dans un Ehpad nîmois, il ne marche plus depuis un an et sa parole est saccadée. Mais ses yeux brillent dès que sa petite fille lui prend la main.
Ferdinand Carmel Sammouth est né le 11 novembre 1923 à Sousse, d’une famille maltaise installée en Tunisie. La guerre à peine déclarée en Europe, il décide de s’engager chez les Zouaves, ces unités françaises d’infanterie légère appartenant à l’Armée d’Afrique et participe à vingt ans au débarquement en Provence le 15 août 1944.
Affecté dans un char, il remonte la vallée du Rhône, avec son bataillon, pour repousser l’ennemi et libérer le territoire national. Il passe Lyon avant de rejoindre l’Alsace. Et c’est à Colmar que son destin va prendre une tournure tragique, au détour d’un carrefour devant la statue d’une Vierge. « Nous sommes très croyants dans la famille », précise Andéa. « Mon papy lui a demandé de le sortir de cet enfer. Les combats étaient très durs, la mort était partout. »
Au cours d’une opération de surveillance à pied, où il remplace au dernier moment un camarade porté pâle, il est pris sous le feu ennemi. Une balle explosive traverse son coude droit, lui fracture tous les os, avant de ressortir au poignet. Malgré sa blessure, le 2e classe Sammouth refuse d’abandonner sa mission. Avec son ami Amor, originaire de Tunisie comme lui, il arme un bazooka et tire dans les chenilles d’un char allemand pour le mettre hors d’état de nuire. Évacué, il laisse son équipage continuer sans lui. Une semaine plus tard, son char est détruit avec tous les hommes à bord, dont son ami Amor. Depuis Ferdinand Sammouth en est convaincu. « C’est la Vierge qui m’a sauvé la vie », confirme-t-il, la voix tremblante. « Sans elle, je ne serais pas là. »
Son acte de bravoure lui vaudra la Croix de guerre avec palme et plus tard, il sera fait Chevalier de la Légion d’honneur au titre de mutilé de guerre à 100 %. Car si un jeune médecin lui sauvera son bras de l’amputation, il ne pourra plus l’utiliser à cause des dommages irrémédiables causés par cette blessure de guerre.
Rapatrié en Tunisie, il obtient une propriété viticole par droit militaire et fonde une famille. Mais à l’indépendance du pays en mars 1956, il est prié de rendre ses terres. En débarquant à Marseille, il est naturalisé français par décret et commence une nouvelle vie comme surveillant de supermarché du côté de Montpellier. Puis viendra le temps de la retraite à Saint-Raphaël là où tout a commencé pour lui en 44. Et le souvenir douloureux des frères d’armes tombés pour la France. « C’était la guerre, on se battait pour la liberté. Et moi, mon boulot, c’était de conduire le char », résume-t-il, les yeux mi-clos.
De cette époque, il conserve des flashs. « Les Américains qui nous apprenaient à tirer. » Le débarquement en Provence « au petit matin » sur une plage qu’il retrouvera bien des années plus tard. Ses malheureux compagnons d’infortune dans le char et ce bruit assourdissant qui finira par le rendre malentendant. Sur la table de chevet, une Vierge veille sur lui, avec son livret militaire et une petite maquette d’engin militaire estampillé US Army.
« Il a toujours conservé une profonde affection pour les Américains », plaide Andéa qui reprend le fil de l’histoire. « C’est mon papy qui me gardait toute petite. J’ai grandi avec ses souvenirs. Je jouais au soldat, je me bandais le bras comme lui. Je m’amusais avec ses médailles. Au lieu de regarder des dessins animés, on passait nos après-midi devant des films de guerre, au grand désespoir de ma mère. »
Son grand-père a traversé le siècle avec une résistance à toute épreuve. Même le Covid n’a pas eu raison de lui, asymptomatique pendant de longues semaines. Ça valait bien une belle réception pour ses cent ans aujourd’hui. Avec toute la famille, quelques résidents de l’Ehpad et un gros gâteau. « Parce qu’il est gourmand », sourit sa petite fille.
Serge BARCELLINIContrôleur Général des Armées (2s)Président Général de l'association Le Souvenir Français, 10 November 2023
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