Le Souvenir Français
Délégation de la Haute-Savoie (74)
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Disparition : Edmond Maudière, le dernier maquisard des Glières est décédé

Avec ses 17 ans, Edmond Maudière était le plus jeune maquisard des Glières - Résistance plateau des Glières, vivre libre ou mourir

Un dernier adieu ce mardi 4 avril, pour son inhumation. Un morceau d’histoire de France s’est éteint. Edmond Maudière, dernier résistant vivant ayant pris part aux combats du plateau des Glières, en Haute-Savoie, s’est éteint à l’âge de 96 ans. Cette bataille a marqué sa vie, comme lui a marqué de son courage les neiges des Alpes.

Il neige horriblement quand le pied d’Edmond Maudière se pose sur le quai de la gare de Chambéry, cette journée de mars 1944. La route a été longue depuis Ay, dans la Marne, la terre d’origine de ce jeune homme de 17 ans. Il est encore presque un enfant, mais la guerre n’a pas épargné son existence. Son père, résistant dans le réseau « Avenir » vient d’être tué par les Allemands. Le fils prend la suite, entre à son tour en résistance et devient la cible de la Gestapo. Sur les ondes illégales de Radio Londres, il apprend qu’on se bat en Haute-Savoie, sur le plateau des Glières.

Pour la première fois depuis 1940, tout là-haut dans la montagne, le drapeau de la France Libre flotte sur le territoire métropolitain. « Trois pays résistent encore en Europe : la Grèce, la Yougoslavie, la Haute-Savoie », annonce Maurice Schumann sur Radio Londres. Ni le régime de Vichy, ni les Allemands ne le tolèrent. Leurs forces prennent d’assaut ce maquis enneigé. Sa décision est prise : il embarquera dans le prochain train qui pourra l’emmener dans les Alpes. Il veut se battre aux côtés de Tom Morel, du 27e bataillon des chasseurs alpins, et de ses 467 résistants.

Intelligence, courage, audace

Quand il arrive à Chambéry, les combats ont déjà commencé depuis janvier, mais l’offensive allemande s’intensifie. Maudière a rendez-vous au bout du lac d’Annecy avec un partisan. Il embarque dans un autocar, mais débarque précipitamment, alors que le véhicule est contrôlé. Il traversera les Bauges à pied. Après une journée de marche, il retrouve son contact, qui lui fait traverser le lac d’Annecy en barque. Enfin, il faudra rejoindre le maquis à pied. Avec ses 17 ans, c’est le plus jeune des maquisards. Là-haut, il entre en relation avec le colonel Bellanger, qui le confie à Henri Paccard, connu en Haute-Savoie pour avoir créé la fonderie du même nom. Puis Edmond Maudière intègre la section Chamois, sous les ordres de Louis Morel. Sur le secteur de Thorens-Glièresg, il fait face aux milices de Vichy et aux forces allemandes, qu’il s’échine à repousser. La section de Maudière garde sa ligne jusqu’au 26 mars, date à laquelle le capitaine Maurice Anjot ordonne aux maquisards de décrocher du plateau.

Edmond Maudière parvient à pénétrer les lignes ennemies sans se faire attraper, et retourne dans la Marne. Maîtrisant bien l’anglais, il s’engage ensuite dans l’armée du célèbre général américain George Patton, qui filait droit sur Berlin. Après la guerre, le champenois s’est épanoui dans le champagne, et a dirigé Moët & Chandon aux États-Unis et en Australie. Edmond Maudière, chevalier de la légion d’honneur, était le dernier maquisard des Glières encore vivant. Il s’est éteint le 28 mars à l’âge de 96 ans. Le président Emmanuel Macron lui a rendu hommage ce lundi 3 avril.

Voilà l’épopée d’un jeune homme de 17 ans, épris de liberté. « C’était quelqu’un d’étonnant et d’emblématique », témoigne le colonel Yvan gg, qui a été chef de corps du 27e BCA, en Haute-Savoie, qui a rencontré Edmond Maudière chez lui, à Épernay (Marne) il y a quelques mois. Lors de cette rencontre, le maquisard a confié au colonel : « J’ai trouvé là-haut ce que j’étais venu chercher : le combat pour la liberté, pour la France, et une structure organisée qui le permette. »

Le colonel Morel, petit-fils de Tom Morel, ne cache pas son admiration. « Cet épisode a été très ponctuel, mais tous les maquisards le disent : c’est pour eux un souvenir incommensurable. Pour lui, les combats des Glières ont été un événement fondateur pour la liberté. C’est ce qui a uni tous les résistants depuis la Libération. »

Le colonel Vincent Minguet, actuel chef de corps du 27e BCA a lui aussi rencontré Maudière. « C’était quelqu’un d’extraordinaire, très humble. Il espérait être là lors de la commémoration des 80 ans des combats des Glières… Il a fait preuve de beaucoup de courage, d’une grande audace, doublée d’intelligence pour mener ses mouvements et ses actions », raconte le colonel.

Edmond Maudière dans le laboratoire du domaine möet er chandon en californie vers 1973 Photo Möet et Chandon

Edmond Maudière dans le laboratoire de Domaine Chandon Californie, vers 1973.

« Une nouvelle page dans l’histoire des Glières »

À l’association des Glières, qui transmet la mémoire des combats du plateau, l’émotion est grande. « Edmond Maudière était d’une fidélité incroyable à l’association et à nos rendez-vous, s’émeut Gérard Métral, le président de l’association. La rencontre avec Tom Morel l’avait marqué à vie. »

Avec le décès du dernier résistant des Glières, c’est une « nouvelle page pour la mémoire de cet événement s’ouvre, acquiesce Christian Anselme, le maire de Thorens-Glières, un des villages qui jouxte le plateau. Fin mars 2024 nous célébrerons les 80 ans des combats, et ce sera le premier anniversaire sans témoin vivant. »

L’association organise nombre d’événements avec les collégiens et lycéens, pour faire vivre l’histoire des combats qui ont ensanglanté ce paisible lieu de promenade et de ski de fond. « Les rescapés eux-mêmes se sont investis dans la transmission, et ont préparé la période qui suivrait leur existence, explique le colonel Morel. C’est une histoire très vivante qui unit le monde associatif, scolaire, et public. Il appartient désormais aux générations futures de faire vivre la mémoire des Glières. »

Vidéo Disparition : Edmond Maudière, le dernier maquisard des Glières est décédé id:XAZaegnyCVM

Documentaire Vivre libre ou mourir

Tom PHAM VAN SUU, 3 avril 2023

Hommage du Président de la république

Il était l’une des ultimes figures de l’épopée des Glières, et le dernier combattant de la compagnie de Louis Morel, celle défendant à la Milice du maréchal Pétain l’accès au plateau depuis Thorens. Edmond Maudière, héros de la Résistance intérieure, nous a quittés à l’âge de 96 ans.

Né à Ay, dans la Marne, le 9 novembre 1926, Edmond Maudière grandit avec ses quatre frères et sœurs. Encore adolescent, il choisit sans coup férir l’appel de la patrie en concourant aux activités de son père, qui, parlant couramment allemand, avait décidé de devenir agent de renseignement et de mettre au service de la France libre ses aptitudes et son courage. Membre du réseau « Avenir », ce dernier mourut en 1944. Les Allemands réquisitionnèrent la maison de la famille Maudière et tandis qu’ils s’apprêtaient à se saisir d’Edmond, il parvint à s’enfuir. Avec un camarade, Jacques Jouy, il rejoignit la résistance en Haute-Savoie.

Ce département avait vu, au début de 1944, ses maquis se regrouper sur le plateau des Glières, désormais assiégé et pourtant souverain. Car sous les ordres de Tom Morel et avec ses compagnons du 27e BCA, 465 hommes de toutes conditions et de tous horizons faisaient vivre une France libre, un plateau comme une redoute, où flottait, pour la première fois dans l’hexagone depuis 1940, la croix de Lorraine sur fond de drapeau tricolore. C’est aux Glières que le Royaume-Uni décida d’effectuer les premiers ravitaillements de la résistance intérieure. En mars 1944, afin de permettre les parachutages d’armes, les troupes de Tom Morel prirent l’initiative et descendirent de leur bastion pour neutraliser les Groupes Mobiles de réserve de Vichy.

Entré en contact avec le colonel Bellanger, puis confié à Henri Paccard, agent de liaison entre les Glières et le reste de l’Armée secrète dans le département, Edmond Maudière parvint au plateau précisément dans ces jours terribles de mars 1944 : son arrivée coïncida avec l’offensive allemande sur les Glières. Pour les troupes d’occupation, le plateau devenait une enclave ennemie, et, pire, menaçait de prendre la dimension d’un espoir pour tout le continent. « Trois pays résistent encore en Europe : la Grèce, la Yougoslavie, la Haute-Savoie », annonçait Maurice Schumann sur Radio Londres. Aussi, les nazis mobilisèrent leur aviation, leur artillerie lourde, et 3 000 de leurs hommes, et confièrent à la Milice française la manœuvre par le côté de Thorens. Intégré à la section Le Chamois, sous les ordres de Louis Morel, dit « Forestier », Edmond Maudière prit part à la défense du secteur ouest du Champ Laitier, afin d’interdire l’accès au plateau par le Pas-du-Roc. Pendant trois jours, avec une disproportion de forces et dans des conditions insensées, les hommes des Glières tinrent bon. La section de Maudière garda sa ligne jusqu’au 26 mars. Mais là, encerclé, le front enfoncé, bombardé par la Luftwaffe, coupé de tout approvisionnement, le capitaine Maurice Anjot ordonna à tous ses hommes l’évacuation du plateau des Glières. Cette dernière fut une nouvelle épreuve : les Allemands suivaient les survivants, en se guidant à leurs traces de pas sur le manteau blanc de l’hiver, cette « clarté terrible de la neige » évoquée par Malraux aux Glières. Ainsi, pour leur perte mais aussi pour leur gloire, ces Résistants avaient foulé ce plateau. Ils avaient surtout laissé dans notre Histoire, une empreinte indélébile de sacrifice et de vaillance.

Edmond Maudière parvint à s’exfiltrer avec les hommes de Louis Morel, et retourna dans la Marne. Il n’abandonna pas pour autant la cause de la patrie. De même que la pratique de l’allemand avait permis à son père d’œuvrer pour la France, de même Edmond Maudière se servit de son bon niveau en anglais pour devenir agent de liaison dans la 5e armée américaine du général Patton. Dans cette famille aussi, chacun avait pour langue natale celle de la liberté.

Après la guerre, Edmond Maudière dut renoncer à ses études de biologie afin d’apporter un secours à ses frères et sœurs et à leur mère, veuve. Ce fils de la Marne trouva ensuite sa voie dans le Champagne, en tant qu’œnologue, et mena une brillante carrière qui le porta à la direction de Moët & Chandon aux États-Unis et en Australie, après avoir fondé le domaine de Napa en Californie.

Si Edmond Maudière appartenait par sa bravoure à la grande famille des Glières, il s’abstenait de tout épanchement. Ne manquant jamais une réunion de l’Association des Glières, il œuvrait pour la mémoire de ceux qui avaient choisi, au moment où la patrie était en danger, entre « vivre libre ou mourir », selon la devise des 465 héros.

Le Président de la République s’incline devant la mémoire de celui qui risqua sa vie pour un idéal français de liberté. Il adresse à sa famille, à ses proches, à tous ceux que le souvenir de ces silhouettes sombres sur une neige blanche et sous un drapeau tricolore a inspiré et inspire encore, ses condoléances émues.